Critique de « Le Chant du Loup » par Anne-Laure
Le Chant du Loup est particulièrement original dans le paysage cinématographique français actuel. Lorgnant du côté du thriller ou du film d’action « à l’Américaine », il réussit pourtant totalement son pari fou. Dix-sept millions d’euros de budget, c’est ce qui a été accordé à la réalisation du film, menée par Antonin Baudry (connu pour avoir scénarisé les bandes-dessinées Quai d’Orsay), pour un résultat époustouflant. Il s’agit de son premier essai en tant que réalisateur et scénariste de cinéma et l’on ne peut qu’espérer voir d’autres de ses œuvres sur grand écran prochainement.
Le film débute dans un sous-marin, où l’on suit une équipe chargée d’une mission dont on ignore, au départ, tout. C’est à ce moment que l’on fait la connaissance de Chanteraide, l’oreille d’or : c’est lui qui, d’une certaine manière, assure la sécurité des membres et du sous-marin, grâce à son audition infaillible, permettant de reconnaître n’importe quel objet mouvant sous l’eau et donc de repérer le moindre danger. Jusqu’à ce qu’il commette une erreur pouvant se révéler fatale.
Au-delà de son sujet qui est, en lui-même, original (on ne voit pas énormément de films de sous-marins ces derniers temps), le film propose réellement une expérience incroyable. Le spectateur est constamment sous tension, que celle-ci soit due aux situations décisives et instantanées, hautement angoissantes, ou au lieu, le sous-marin, symbole par excellence de l’enfermement et de l’isolement total. Car si, « dans l’espace, personne ne vous entend crier », il est probable qu’il en soit de même si vous vous perdez sous l’eau. Lors des scènes sous-marines, l’on a ainsi le sentiment de faire, nous aussi, partie de l’équipage, d’être soumis aux mêmes nécessités de prises de décisions imminentes et à leurs conséquences probables.
« Le chant du loup », c’est le nom donné au son émis par un sonar lorsque celui-ci repère votre sous-marin. Autant dire que c’est un son que l’on préfèrerait ne pas entendre. A ce sujet, le travail sonore est excellent et relève d’une maîtrise indiscutable : une grande importance est attribuée au moindre bruit qui se répercute dans nos propres oreilles. Chacun d’entre eux peut se révéler être une menace, et tous nos sens doivent toujours demeurer en alerte afin que rien ne nous échappe.
Grâce à ces deux éléments (les sons et la tension quasi permanente), le film nous embarque dans une véritable (et presque littérale) immersion. Celle-ci peut même se révéler éprouvante à certains instants, tant tout dans l’ambiance et l’atmosphère est fait pour créer un sentiment d’impératif tragique.
A cela s’ajoutent de très beaux effets visuels et spéciaux, notamment sous l’eau, complétant cette expérience en submersible. Enfin, la bande-original vient parfaire ce tout.
Un autre point intéressant est que le film fait le choix, visiblement totalement assumé et volontaire, de ne pas être limpide, et ce à plusieurs niveaux. En effet, dès le début nous sommes « plongés » dans l’action et dans ses impératifs… mais sans en connaître ou en comprendre les enjeux exacts et leur importance. Ceux-ci prendront progressivement forme, dévoilant une situation géopolitique conflictuelle qui semble bien compliquée. Nous comprendrons aussi (si comme moi vous n’en saviez rien) les tenants et aboutissants de la « guerre acoustique », guerre de dissuasion.
De plus, rien ne nous sera épargné en ce qui concerne le jargon propre au monde des sous-marins. De quoi laisser plus d’un spectateur dans l’incompréhension de certains aspects techniques. Ceux-ci, toutefois, ne relèvent pas d’importance fondamentale pour la compréhension globale et ajoutent une forme de réalité aux actions qui se déroulent devant nos yeux. Cette volonté de ne pas tout expliquer directement fait, elle aussi, figure assez originale actuellement et est, selon nous, à saluer.
Le casting quant à lui côtoie du très bon et du moins bon. François Civil, que l’on verra prochainement dans d’autres films de ce début d’année, est parfaitement convaincant dans son rôle d’oreille d’or quelque peu en « décalage » du monde qui l’entoure, puisqu’il ne le comprend pas de la même manière et avec la même intensité que tout un chacun. En revanche, l’on a un peu de mal à ne pas penser qu’Omar Sy est … Omar Sy et non le rôle qu’il joue : son personnage nous a semblé manquer un peu de crédibilité. Le personnage interprété par Paula Beer (déjà vue dans Frantz de François Ozon il y a quelques années) semble avoir été un peu « oubliée » sur la fin. En effet, bien que Diane soit intéressante et paraisse importante lorsqu’on la rencontre, son implication se révèlera finalement minime, laissant ainsi en premier plan des rôles exclusivement masculins.
Nous pouvons donc constater et conclure que l’on est sans doute plus devant un film « sensoriel » que brillant par son scénario. Celui-ci est toutefois bien loin d’être mauvais, mais aurait pu bénéficier d’une meilleure écriture et de davantage d’approfondissements. L’on regrettera également un certain problème de diction de la part des acteurs. En effet, ce léger souci empêche une compréhension totale de certaines phrases, et par conséquent, de détails du scénario. Ceci ne perturbe en aucun cas l’entièreté de l’expérience, mais, pour un film qui se base sur l’audition, c’est tout de même dommage.
Bien qu’il ne soit pas totalement exempt de défauts, le premier film d’Antonin Baudry est particulièrement ambitieux et est une (très) grande réussite. À la fois réussi visuellement, tragique et dramatique, il démontre ainsi que le cinéma français n’a nul mal à se renouveler et est totalement capable de proposer de grandes expériences immersives. Un premier film d’une longue série, espère-t-on.