Critique de « Sils Maria » par E-Stark
« Je ne comprend pas,
c’est certainement trop abstrait pour moi. »
Juliette Binoche – « Sils Maria » de Olivier Assayas (2014)
Présenté à Cannes en 2014, « Sils Maria » est un long-métrage fascinant. Pas seulement sur la féminité, bien que cela en compose une part importante, mais plutôt sur ce que le temps impose à la femme, et ici plus particulièrement à la femme actrice.
Au-delà d’une réflexion sur la célébrité qui sert à caractériser le personnage de Juliette Binoche, c’est le miroir entre Maria et Jo-Ann qui avec subtilité dépeint parfaitement une époque, mais aussi une condition.
Être actrice à plus de quarante ans, et surtout à Hollywood aujourd’hui, est souvent synonyme de la fin d’un âge d’or. Bien sûr il y a des exceptions. On connaît notamment la douce Jessica Chastain qui a su s’imposer après la trentaine par exemple.
Le fait de choisir Binoche pour jouer le personnage principal est très intéressant de la part de Olivier Assayas, car non seulement il offre ici à l’actrice un rôle magnifique, mais aussi car cette dernière devient une métaphore poignante et réaliste du sujet. Il ne s’agit pas juste d’un personnage, mais aussi de la comédienne qui l’interprète.
Le temps passe et l’actrice demeure, cependant les rôles changent, mais l’égo non. A travers de simples phrases, et son contexte francophile, « Sils Maria » devient une excellente critique de l’industrie Hollywoodienne actuelle. Là où un Cronenberg a préféré la lourdeur et les métaphores abjectes pour pousser un coup de gueule, Assayas fait le choix de la subtilité et de la poésie. Son film n’en n’est que plus parlant et pertinent.
Que cette critique vienne d’un réalisateur français qui s’entoure de trois actrices qui forment chacune un stade précis de la carrière d’une comédienne, est vraiment une approche intéressante.
Alors que chez nous en France, on donne encore des rôles à des actrices qui ont plus que fait leurs preuves (Deneuve pour ne citer qu’elle.), ce n’est pas la même chose outre-atlantique.
Chloé Grace Moretz est la jeune actrice qui grimpe doucement mais sûrement vers des rôles toujours de plus en plus ambitieux. Kristen Stewart se présente comme étant le stade au-dessus encore, elle est à mi chemin entre la comédienne qui vient de terminer son ascension au près du public à travers divers blockbusters, et qui se tourne maintenant vers des rôles de compositions. Juliette Binoche quant à elle représente l’actrice qui a déjà une longue carrière. A l’affiche de « Godzilla » en 2014, mais aussi de « Sils Maria », sans oublier sa carrière française.
C’est exactement la même chose dans le film, et le choix des actrices s’avère judicieux.
Cela entraîne aussi une réflexion sur le cinéma moderne, le personnage de Moretz cherche sa place mais se retrouve vite happée par le système, ce qui n’est pas sans rappeler une certaine Lindsay Lohan. Alors que la maturité de Maria Enders lui permet de garder le contrôle et son indépendance, quitte à passer pour une has-been.
Si il y a bien un film qui cette année est en parfait accord entre sa forme et son fond, c’est celui-ci. Assayas prend le temps et filme ses actrices avec une douceur et une poésie magnifique.
Si les personnages sont discutables, la mise en scène les met en valeur. Le parallèle entre ces images calmes et la friction entre les deux comédiennes jouées dans le film, donne cette fascinante impression d’âmes perdues dans un paradis terrestre. Car finalement, qu’est-ce qu’une actrice qui prend conscience du temps qui passe et de ce qu’il amène de nouveau ? Une femme un peu perdue, qui n’est plus en accord avec le système. Elle erre à la recherche d’un potentiel renouveau. La mise en scène d’Assayas traduit parfaitement tout ceci, et confère au film une aura mystique envoûtante.
Les actrices, les vraies pas les personnages, sont toutes les trois très justes. La caricature légère jouée par Moretz est parfaite. Binoche quant à elle se révèle étonnante de délicatesse et très touchante. Quant à Stewart, elle est un peu celle en qui le spectateur peut percevoir l’histoire de manière neutre. C’est d’ailleurs l’une des qualités du film. Ce dernier a beau être immersif, on peut tout aussi bien rester neutre à cette histoire sans prendre parti, et en savourer pourtant tous les contrastes.
Olivier Assayas signe ici un film majestueux. Une oeuvre lumineuse sur des personnages ternes qui tentent plus que jamais de demeurer dans la lumière. Magnifique !
Ma note : 9/10