Cinéma,  Critiques,  Critiques au Cinéma

Alien Romulus : le Nostromo vire à gauche

Scott n’ayant pas réussi à transformer l’essai critique de la réception excellente du premier Alien, en proposant après Cameron, Fincher et Jeunet un virage extrêmement serré dans la saga, un nouveau réalisateur arrive à la barre d’Alien avec une promesse de retour aux sources. Mais ALIEN : ROMULUS est loin de n’être qu’un recalibrage de la saga, tant il est habité des thèmes et techniques de son auteur Fede Alvarez. 

La vie n’est que souffrance pour les habitants de la colonie minière de Jackson’s Star, auxquels la société Weyland Yutani fait miroiter un espoir d’évasion qui n’est jamais accompli. Qu’à cela ne tienne : des jeunes humains, accompagnés d’un androïde, décident d’aller piller un vaisseau à la dérive, afin de préparer leur propre départ. Toutefois, ils sont loin d’imaginer ce qui se trouve à bord du vaisseau, rempli des créatures cauchemardesques ayant décimé l’ancien équipage du Nostromo…

L’analyse contient quelques spoilers.

Les derniers films de la saga ALIEN, à savoir PROMETHEUS et COVENANT, ont témoigné de la volonté de Ridley Scott de plaquer ses récentes obsessions à une série de films d’horreur SF populaires. Ceci passant par des interrogations pseudo-philosophiques sur l’origine de l’humanité, une misanthropie particulièrement revancharde, ou encore un mépris assumé de la communauté scientifique qu’il a su assumer par ailleurs dans quelques interviews (on peut, par exemple, renvoyer à son propos lors de la promotion de NAPOLEON, niant la légitimité des historiens pour présenter des faits qu’ils n’étaient pas là à l’époque pour observer). En sont ressortis deux films trouvant certes  leurs défenseurs dans la communauté cinéphile (en particulier pour les qualités plastiques du cinéma de Scott ou pour son nihilisme jugé rafraichissant), mais qui ont globalement reçu un accueil soit mitigé, soit très négatif pour le dernier opus

Après avoir avorté la version de Neil Blomkamp (DISTRICT 9), Scott laisse donc ici la place à Fede Alvarez, connu pour son apport déjà important dans le cinéma d’horreur, en particulier réalisateur de l’excellent faux-remake d’EVIL DEAD, ou encore de DON’T BREATHE. Loin d’être une coquille vide faite de clins d’œil nostalgiques (sur lesquels on reviendra), le film est pétri et habité par la conscience sociale de son réalisateur. Jamais dans la saga n’a-t-on accordé une place au portrait des personnages principaux et à leur place dans la société, à l’exception peut être des marginaux habitant la colonie pénitentiaire de Fiorina 161 dans le troisième volet. ALVAREZ prend donc l’exact contrepied de PROMETHEUS et COVENANT, délaissant les interrogations métaphoriques sur l’origine de l’humanité pour se pencher sur les aspects concrets de cette humanité : les protagonistes de ROMULUS se trouvent sur le lieu des horreurs parce qu’ils ont préalablement souhaité échapper à leur condition misérable de quasi-esclavage, en trouvant un monde meilleur. Il s’agit donc de réfugiés économiques, qui rencontrent des dangers mortels lors de leur fuite : la métaphore est évidente et n’est qu’une des très nombreuses questions sociales qui parcourent le film (par exemple, la place du robot humanoïde subissant une forme de racisme de la part des personnages humains, allant de la condescendance à l’agression physique). 

Au-delà des questions brûlantes et particulièrement actuelles posées par le film, celui-ci appartient bien évidemment à un ensemble artistico-commercial établi, dont il faut toucher un mot puisqu’une des critiques opposées au film d’Alvarez tient à la profusion de références aux films précédents. Il est vrai que ROMULUS va bien au-delà de son postulat d’origine, à savoir une suite directe au premier film de la franchise : l’ensemble des opus, d’ALIEN à COVENANT, sont effectivement cités par le film. Au-delà de l’intérêt commercial évident qu’il y a à brosser le fan dans le sens du poil, allons un peu plus loin en supposant que le réalisateur d’EVIL DEAD sait ne pas se limiter à des contraintes de ce type. En effet, Alvarez ne se contente pas de placer quelques gourmandises pour que le fan puisse gentiment se laisser endormir : chacune des références proposées par le film a une signification et un impact durable dans la mythologie. Il en va ainsi des quelques notes du score de PROMETHEUS distillées dans le film (évoquant à soi seul la thématique de l’affrontement entre sauvegarde de l’humanité actuelle et création d’une humanité évoluée), ou encore du retour du personnage incarné par Ian Holm (qui permet de faire la distinction entre l’androïde ancien et moderne, le dernier étant beaucoup plus proche de l’humain et plus à même de protéger ce dernier). Il ne s’agit pas de facilités ou de manque d’imagination, mais d’une inscription cohérente sur le fond et la forme dans un univers qui dépasse largement le seul cadre de ROMULUS. 

 

 

Ceci est démontré d’autant plus que le film regorge de séquences inventives et originales, et est donc loin de n’être fait que de références abstraites. Certaines idées, c’est d’ailleurs la force du cinéma d’Alvarez, sont absolument répugnantes : l’action précise du parasite créant l’alien en faisant ingérer un tube phallique à l’humain fait partie de ces images qui restent gravées sous la paupière du spectateur bien après le visionnage. Au contraire, certaines idées sont quasi-poétiques, comme lorsque qu’un champ gravitationnel, découvert au début du film, fait office de fusil de Tchekhov (NB : procédé narratif consistant en l’évocation au début d’une oeuvre d’un outil qui sera utile à la fin), lorsqu’il est, bien plus tard, utilisé pour que le sang acide des créatures ne percute pas le sol de la station. En plus d’être riche d’un point de vue thématique, ROMULUS est donc particulièrement satisfaisant sur la forme, faisant le choix d’un univers visuel poisseux et sombre, où l’on devine les formes et les horreurs plutôt que de les montrer en gros plan surexposé. 

ALIEN ROMULUS est donc bien plus qu’une relecture nostalgique de la saga : il s’agit d’une œuvre originale qui n’appartient qu’à elle-même, sans pour autant se priver du bagage culturel solide à sa disposition. C’est, au fond, une autre différence entre Alvarez et Scott : ce n’est pas la destruction qui est, ici, créatrice de sens, mais bien la réparation et la projection vers l’avenir : à nouveau, donc, s’opposent donc ici l’humanisme et la misanthropie. 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Notre site utilise des Cookies, nous vous conseillons de vous renseigner sur les Cookies et leurs fonctionnements en cliquant sur le lien suivant.  En savoir plus