Critique de La Favorite par Anne-Laure
Yorgos Lanthimos a pour habitude de créer des films au scénario à l’ambiance particulière. Nous avions déjà pu le constater avec ses précédentes réalisations : Canine, The Lobster et Mise à Mort du Cerf Sacré. Il se dégage toujours un je-ne-sais-quoi d’angoissant qui peut fasciner le spectateur ou le mettre profondément mal à l’aise, ou les deux. L’on peut également déceler une critique acerbe de l’humanité et des dérives (réelles ou potentielles) de la société (actuelle).
The Favourite, bien qu’il ait été réalisé par Yorgos Lanthimos, dispose d’un scénario écrit par Deborah Davis et Tony McNamara. Et, en effet, bien que l’on reconnaisse le style propre à Lanthimos, ce dernier film est différent de ses précédents.
Inspiré d’un véritable fait historique, le récit prend place au 18èmesiècle à la cour d’Angleterre, alors en guerre avec la France. Tandis que la santé de la Reine Anne (Olivia Colman) est défaillante et l’empêche de gouverner son pays, c’est son amie Lady Sarah (Rachel Weisz) à qui revient la tâche de prendre les importantes décisions. C’est alors qu’arrive une nouvelle servante, issue toutefois de l’aristocratie mais déchue, Abigaïl (Emma Stone). Celle-ci mettra tout en œuvre pour parvenir à récupérer toutes ses lettres de noblesse.
Prouesses visuelles et décors incroyables
Visuellement, le film est réellement époustouflant. Il est d’ailleurs nommé aux Oscars 2019 dans pas moins de dix catégories, notamment Meilleure création de costumes, Meilleure photographie et Meilleurs décors.
Il est vrai que les décors ainsi que les costumes, réalisés avec un soin incroyable, valent réellement plus qu’un coup d’œil, tant il y a de choses à observer. Le faste excessif, la profusion d’objets et de détails, les richesses outrancières transparaissent à chaque instant, dans tous les éléments qui nous sont donnés à voir ; du mobilier aux courses de canards en passant par les repas ou par les tapisseries murales qui fourmillent de détails.
Cette exubérance tant absurde que scandaleuse est sublimée par l’usage presque systématique d’un objectif ultra grand angle. Celui-ci, déformant les perspectives, permet d’une part de faire paraître les éléments plus grands qu’ils ne le sont par rapport à l’espace qu’ils occupent et d’autre part de donner un sentiment de « fausse réalité » aux images. Car, en effet, en ces époques dans ces lieux de richesses et de pouvoir, l’on peut facilement croire que la réalité « vraie » est aussi déformée que le sont les images que nous voyons.
L’humanité sous son plus mauvais jour
Cet univers particulier permet à Lanthimos d’explorer une fois encore les travers de l’être humain. A la cour, manipulation, mensonges, individualisme et profit sont légion. Tout est permis pour parvenir à ses fins, on ne peut faire confiance à personne, sans doute même pas à ses propres jugements. Aussi, les personnages nous sont constamment montrés sous leur angle le plus négatif et semblent incapables de bonnes actions désintéressées. Les trois actrices principales (Rachel Weisz, Emma Stone et Olivia Colman) incarnent trois femmes fortes et sont exceptionnelles, les différentes nominations aux Oscars qu’elles ont reçues sont totalement méritées. Les relations qu’elles entretiennent, entre jeu de pouvoir, profit et séduction sont extrêmement bien transmises à l’écran.
Cette accumulation de mauvaiseté peut toutefois déstabiliser, d’autant plus qu’il semble impossible d’aller à son encontre, si l’on souhaite survivre. Aussi, l’on peut considérer que le cinéaste a tendance à trop appuyer ces traits de caractères, alourdissant quelque peu le récit. La manière dont est donnée à voir la perfidité, apparement inhérente à l’humanité, peut ainsi se révéler trop démonstrative. Par ailleurs, ces jeux de manipulation effrayants étaient déjà présents dans ses précédents films, ce qui nous amène à penser que celui-ci n’a pas beaucoup d’affection pour l’humanité et tout autant d’espoir. En outre, si le film n’est pas dépourvu d’humour, celui-ci est profondément cynique, croquant et explorant la nature humaine sans aucune tendresse.
The Favourite est un film de « surplus ». Surplus dans les décors, surplus dans les costumes, dans les maquillages, dans les actions néfastes, dans la manipulation. L’on peut donc dire qu’il s’agit d’une nouvelle réussite pour le cinéaste et qu’il n’aura nulle peine à trouver son public. Toutefois, celles et ceux qui n’étaient déjà pas particulièrement réceptifs à son art risquent une nouvelle fois de ne pas y trouver totalement leur compte.