Cultiver l’amour dans « Les Jardins du Roi »
Les Jardins du Roi (2014), c’est le deuxième film réalisé par Alan Rickman après L’Invitée de l’Hiver en 1997. Ce dernier film s’illustre dans la romance et l’historique en plein cœur du XVIIème siècle, pendant la construction du grandissime château de Versailles. Il est bien connu que les désirs du Roi Soleil étaient titanesques voire irréalisables, à la fois pour ses intérieurs et l’aspect extérieur de son palais. C’est ainsi que le célèbre jardinier Le Nôtre choisi d’engager Sabine de Barra, une paysagiste qui sera en charge du Bosquet des Rocailles, prévu pour devenir un espace de bal éblouissant en plein air et au cœur de la nature. Mais être une femme roturière avec une mission si importante n’est pas sans risque, entre jalousie, aléas naturels et problèmes personnels.
Pour cette belle histoire, Alan Rickman choisit comme tête d’affiche Kate Winslet, vue dernièrement dans Divergente et l’acteur belge Matthias Schoenaerts (Loin de la Foule Déchaînée ; Suite Française) accompagnés de Stanley Tucci, et le réalisateur lui-même. Sabine de Bara se retrouve donc en plein cœur des tourmentes de la cour, se rapprochant des plus importantes personnes et elle réussit même à gagner l’estime du roi en personne. Tout un programme, donc, pour ce film présenté pour la première fois pour la clôture du festival du film de Toronto. Les avis furent toutefois très mitigés.
Le principal problème dénoté par les spectateurs et par la presse est clairement son manque de réalisme. Si vous êtes un pro de l’histoire de France et que vous regardez le film, vous serez probablement outré des erreurs et anachronismes présents ici. Petite vue d’ensemble :
1 : Sabine de Barra n’est ni plus ni moins qu’un personnage de fiction. Cette jardinière n’a jamais existé dans l’histoire de France, et il semble d’ailleurs invraisemblable que femme roturière puisse prendre part à la construction des jardins du château de Versailles et encore moins avoir la charge d’un élément tel le Bosquet des Rocailles. Sans compter que c’est une femme presque aussi élégante qu’une bourgeoise et qui n’a rien d’une gueuse.
2 : Dans le film, Le Nôtre est en réalité le fils du célèbre jardinier que tout le monde connaît. En effet, à cette époque André Le Nôtre était déjà un vieil homme beaucoup plus âgé que Louis XIV. Et d’ailleurs, il aimait sa femme.
3 : Louis XIV est décrit d’une manière plutôt méliorative. C’est très connu que ce roi était vraiment mégalomane et prétentieux, ce n’est pas pour rien qu’il est surnommé le « Roi Soleil », or, dans le film cet aspect proéminent de son caractère n’est que très peu suggéré, si ce n’est par l’attitude de l’acteur et de toutes petites scènes pas vraiment explicites.
4 : L’anglais s’invite dans les correspondances de Le Nôtre. Voilà un petit détail qui ne plaît pas aux spectateurs français : au début du film ont voit le jardinier écrire une lettre dans la langue de Shakespeare, une incohérence de plus.
Sauf que, pour plaider la défense de Les Jardins du Roi, qui dit film historique ne dit pas forcément adaptation de faits strictement véridiques. Un film historique s’inspire d’événements particuliers de l’Histoire et le réalisateur peut tout à fait se permettre d’agrémenter lesdits éléments. Donc, ici, la base est bel et bien la construction des jardins de Versailles et les exigences du roi Louis XIV. Quant à la langue anglaise présente dans le film, ç’aurait été difficile de faire autrement étant donné que le film est anglais, justement. Voilà pour ça.
Contrairement à ce que le titre du film peut laisser entendre, ce n’est pas la création des jardins qui est le sujet principal mais plutôt l’histoire d’amour entre Madame de Barra et le jardinier du Roi qui l’a engagée.
Elle est époustouflante de beauté, de simplicité et de talent et lui en a raz le bol de sa pimbêche de femme qui le trompe tous les soirs avec un autre homme (qu’elle paye, c’est moche) . Leur histoire d’amour, qui prend le pas sur le jardinage, est tout à fait touchante et délicate. Même si elle est carrément prévisible, on est quand même heureux de les voir s’aimer. Sabine et Le Nôtre se complète l’un l’autre : il comble le manque d’amour qu’il supportait avec sa femme et elle trouve un confident pour chasser de son esprit son traumatisme passé. Bon OK, c’est une relation extra-conjugale, mais on s’en fout parce qu’ils vont très bien ensemble, ils le méritent, et puis c’était monnaie courante à cette époque. Néanmoins, on ne peut pas suivre leur idylle pendant deux heures, il faut bien le construire ce Bosquet des Rocailles, mais, hélas, cet aspect de l’histoire est trop peu abordé et les difficultés auxquelles Sabine doit faire face sont peu présentes et écourtées. Après une histoire d’inondation, elle s’en sort magistralement avec un peu d’aide et réussit à construire cette partie du jardin presque sans encombre : ça manque de piment…
L’autre côté intéressant du film, bien qu’impensable, est la relation entre Sabine de Barra et le roi Louis XIV. Il se rencontre la première fois dans un jardin où Sabine croise Sa Majesté et ne le reconnaît pas. S’établit entre eux une relation cordiale et presque d’égal à égal. Elle se permet de lui parler naturellement et même de critiquer franchement ce qu’il dit devant la moitié de la cour dans une discussion très métaphorique pour prendre la défense d’une certaine Madame de Montespan. Cela offre de la fraîcheur au film et un soupçon d’audace. Elle s’entend également très bien avec le duc d’Orléans, frère du roi, ce qui s’avère pratique
On découvre le résultat final du Bosquet des Rocailles à la fin du film, en même temps que le roi, et on peut dire que Sabine, elle a assuré ! Au passage, on peut remarquer les souliers (à talons, s’il vous plaît) de Le Nôtre qui détruisent son sex-appeal jusque-là conservé par son allure un peu plus virile que les autres pédérastes messieurs de la cour. La fin du film est l’un des plus beaux moments, tout est très beau : l’écrin de verdure, les fontaines, la musique qui provient à la fois de partout et de nulle part, les amoureux… Seul point négatif : la toute dernière image montrant une vue d’ensemble de Versailles un peu trop numérique.
Pour cette ultime réalisation d’Alan Rickman, le bilan est donc tiède. Il tire plus sur le chaud pour ceux qui apprécie la belle histoire d’amour, la grâce du film et qui ne sont pas trop pointilleux en terme d’histoire. Mais il sera plutôt froid pour ceux qui veulent surtout voir de la binette et du compost pendant deux heures.