Critique de « Jurassic World » par E-Stark
« Ce n’est pas une question de contrôle. »
Chris Pratt – « Jurassic World » de Colin Trevorrow (2015)
14 ans, c’est l’espace qui sépare Jurassic World de Jurassic Park III, c’est une éternité pour un fan. 14 ans c’est long et pendant tout ce temps le cinéma a évolué, Jurassic World est le fruit de cette évolution. Inutile de préciser que le public espérait autre chose qu’un film du même acabit que le troisième volet de la franchise …
Je prend enfin place dans cette salle de cinéma, je n’en peux plus. Depuis le premier trailer diffusé en Novembre 2014, que dis-je, depuis ce tweet de Colin Trevorrow affirmant la fin du tournage, Jurassic World est devenu le film que j’ai le plus attendu dans ma vie de cinéphile. Le voilà, je l’ai enfin sous les yeux et c’est avec excitation mais aussi avec crainte que j’aborde ce film, comme un enfant qui déballe son cadeau sous le sapin à Noël.
Je m’en excuse d’avance, mais si j’ai l’habitude de structurer mes critiques (ou plutôt je tente de le faire), celle-ci va être particulière, les spoilers vont sûrement être légion mais j’espère qu’elle sera agréable à lire. Une chose est sûre en tout cas, c’est que Jurassic World ne m’a pas laissé de marbre, il ne pouvait pas en être autrement de toute façon.
Quelques notes de musique, le logo Universal puis celui de Amblin Entertainment et enfin Legendary Picture. Le film commence et le petit garçon qui sommeille toujours en moi s’étonne de la scène d’ouverture, un peu cheap c’est vrai. A cet instant j’espère toujours me trouver face à un film qui ne me décevra pas, même si évidemment l’anxiété n’est jamais bien loin, je ne peux pas refréner mes émotions. Après une courte présentation des deux frères qui vont se rendre sur l’île, le thème emblématique de John Williams résonne, repris avec justesse par un Michael Giacchino ô combien respectueux envers son aîné. L’émotion est à son comble : « Welcome to Jurassic World ! »
Le parc se dévoile, il est magnifique, très actuel et crédible. Ce rêve imaginé par le personnage de John Hammond en 1993 et initié sous la caméra du talentueux Steven Spielberg. Il a enfin prit vie, Jurassic World est opérationnel depuis une dizaine d’années, mais le public s’est lassé. Oh il ne manque pourtant pas de visiteurs dans les allées, mais les dinosaures en 2015 sont devenues choses courantes et la plèbe ne s’émerveille plus. Nous non plus. Il ne s’agit plus de présenter des espèces disparues au public, non, il faut montrer quelque chose de plus effrayant, de plus terrible et de plus dangereux. Un T-rex qui déguste son quatre heure ? Les ados s’en fichent, ils tweetent sur leurs smartphones. Un tour en gyrosphère au milieu d’un troupeau de sauropodes ? C’est beau certes, mais ce n’est pas suffisant. Un mosasaure géant qui gobe un requin blanc cloné ? C’est impressionnant mais cela ne suffit pas non plus.
Alors les généticiens répondent à l’appel du public et aux exigences de leur patron, en créant un pur produit de marketing à l’image des gros films Hollywoodiens actuels, le public devrait répondre présent. Cette création c’est l’Indominus Rex, un dinosaure hybride, un super-prédateur assoiffé de sang. En voilà une attraction qui devrait faire frémir ces chères têtes blondes. Seulement voilà, la bête est seule, isolée et à l’écart, sans aucune connaissance du monde qui l’entoure. A l’image de tous ces animaux maltraités dans les cirques ou les parcs zoologiques, l’Indominus Rex n’a besoin que d’une chose : se nourrir. Du moins c’est ce que l’on croit, mais la bête s’avère finalement être un monstre sanguinaire, animé par le besoin de tuer tout ce qui bouge. Doté de facultés redoutables, la créature va parvenir à s’échapper, laissant s’évader dans son sillage la fragrance de la tragédie survenue vingt ans plus tôt dans le Jurassic Park.
Voilà comment se met en place l’histoire de Jurassic World. On pourrait facilement penser à un film qui ne fait que reprendre les grosses ficelles de son aîné, mais que l’on ne s’y trompe pas, c’est bien plus que cela. Jurassic World sous ses allures de gros produit Hollywoodien simplet et pop-corn, propose des sous-textes plus complexes qu’il n’y paraît. A l’image de cette société de consommation qui désire toujours plus pour finalement n’être jamais satisfaite, le scénario nous impose son nouveau dinosaure comme un monstre qui détruit tout, qui saccage tout et qui a pourtant toutes les qualités nécessaires pour répondre aux besoins du public qui visite le parc. Y voir ici une métaphore du Hollywood actuel, n’est pas une hérésie mais une affaire de logique. Jurassic World n’a pas uniquement pour but de divertir, ce qu’il fait pourtant très bien, mais plutôt de critiquer et de dénoncer les tendances d’un public qui ne se satisfait jamais de ce qu’on lui propose, quitte à n’apprécier finalement que des bons gros produits bien gras et dégoulinants de divertissements, étrangers à toute forme de subtilité.
Pour autant le film ne s’enferme pas non plus dans le passé, la preuve en est avec la réalisation de Colin Trevorrow qui se permet beaucoup de fantaisies, pas toujours crédibles c’est vrai. Mais le réalisateur pousse à fond son outil technologique pour ramener sur le devant de la scène une franchise qui a petit à petit sombré dans l’oublie. Ce retour est accompagné d’un hommage poignant à l’oeuvre originale de Spielberg en 1993, en la personne de Jake Johnson notamment qui joue un personnage comique faisant écho aux fans de la première heure. Le fan service ne manque pas d’ailleurs, sans être gênant pour autant, car finalement si Jurassic World n’oublie jamais de mentionner son aîné, parfois au détriment de sa propre identité, il n’en n’est pas moins un blockbuster actuel qui n’a pas la volonté de révolutionner le cinéma, mais qui demeure profondément tourné vers l’avenir comme en témoigne le plan final.
Évidemment on nous ressert les bons vieux messages sur le contrôle de la nature à travers les manipulations génétiques, mais comme Jurassic Park en 1993, Jurassic World en 2015 est bien conscient du contexte de son époque. Il met en avant un sous-texte pertinent, dont la principale fonction est de souligner les atrocités que les hommes font subir au monde qui les entoure. A l’image de l’Indominus Rex qui s’avère assez futée pour s’échapper, la nature reprend ses droits. Seulement voilà, l’hybride dans le film n’a rien de naturel, tout comme les modifications parfois désastreuses que l’on impose à notre planète, pourtant la vie trouve toujours un chemin disait Ian Malcolm dans le premier film, et l’I-rex a beau être un monstre de laboratoire, il est vivant et pourtant incompatible avec le monde dans lequel on voudrait qu’il évolue.
Pourquoi serait-ce si difficile de garder le contrôle de la situation alors qu’une aberration génétique est lâchée dans la nature, quand on est capable d’établir une relation toute particulière avec l’espèce que l’on croyait être la plus dangereuse de la planète ? C’est à cela que sert la thématique d’Owen en dompteur de vélociraptors dans le film. L’influence de l’homme sur la nature, confère à ce dernier un sentiment de pouvoir qui parfois mène au désastre.
On ne peut décemment pas imputer à Jurassic World d’être un vague blockbuster creux qui ne respecte pas son héritage cinématographique. Au contraire il est une superbe mise en abîme de la société dans laquelle nous vivons actuellement, une sorte de métaphore de deux heures dans lequel on insert ce qu’il faut de divertissement pour satisfaire le public et le ramener à ressentir des émotions simples et vraies. Le cinéma comme toute autre forme d’art, est un moyen d’expression, et faire d’un film une métaphore ambulante, n’est pas une intention hypocrite, bien au contraire c’est un parti pris risqué et subtil qui peut porter ses fruits si on tente d’y être réceptif.
Alors Jurassic World se dévoile comme un blockbuster qui ne tente pas de trancher avec ses concurrents actuels, mais plutôt d’en arborer le même aspect pour mieux surprendre son public. Avec des personnages forts, notamment celui de Claire Dearing incarnée par la sublime Bryce Dallas Howard, qui compose ici le personnage évoluant le plus tout au long du métrage. Une femme qui revoit rapidement ses priorités pour s’imposer comme une aventurière qui n’a pas peur de se salir et de ruiner ses Louboutins dans la boue. C’est la dimension féministe du film, bien loin de l’image terne et burnée à laquelle on pouvait s’attendre en voyant les trailers. Car finalement si Chris Pratt n’a aucun mal à s’affirmer dans le film, il ne fait pas sa star en prenant soin justement de ne pas jouer à fond la carte du beau gosse musclé et cool qui dresse des vélociraptors. Quant aux deux jeunes frères, les neveux de Claire, ils sont le lien avec les fans de la première heure, notamment le plus jeune des deux. Bien sûr Omar Sy trouve sa place grâce à un rôle qui ne se résume pas à de la figuration. Quant à D’Onofrio en méchant, il impose également beaucoup, B.D. Wong qui reprend son rôle du Dr Henry Wu n’est pas en reste non plus. Enfin Irfan Khan en Simon Masrani s’avère être la parfaite jonction de tout ce que véhicule le film, un personnage à la fois fort et touchant malgré la rareté de ses apparitions.
Mais Jurassic World c’est aussi et surtout plein de petits détails. Car à travers les fulgurances épiques du récit, se logent bon nombres d’éléments tels que les questions sur les traitements infligés aux animaux, la limite à laquelle s’arrête la notion de contrôle, les dangers du pouvoir génétiques, mais aussi l’émotion. Car l’émotion le film joue souvent là-dessus, celles que l’on ressent en tant que fans évidemment car pleins de clins d’oeils au premier film sont livrés, mais plus simplement aussi l’émotion que l’on dissémine dans les scènes. Il n’est pas rare de se sentir parfois dérouté par la tournure des événements tragiques du Jurassic World, notamment en terme de violence. Le film de ce côté confirme qu’il est ancré dans l’ère des blockbusters modernes, la violence y est plus frontale et plus crue, le personnage de Katie McGrath en sait d’ailleurs quelque chose.
Pour ma part, même si je m’attendais à ce passage là dans le film, je me suis surpris à verser une larme en revoyant après 22 d’absence, la star du premier film, le Tyrannosaure Rex.
Le film ne manquant jamais de surprises, certaines scènes peuvent aussi paraître assez grossières, notamment celle du premier face à face entre les vélociraptors et l’I-rex, une scène que je redoutais de voir personnellement et qui finalement trouve à peu près une once de logique.
Mais l’émotion on l’a ressent aussi parce que finalement tout ce que l’on voit paraît crédible, pas forcément les situations, mais surtout en terme de crédibilité visuelle. Les effet-spéciaux douteux des premiers trailers ont laissés place à un film plastiquement très abouti, et qui sans avoir besoin de se justifier nous amène à réaliser que la technique des animatroniques en majorité n’aurait pas desservit le film comme il faut dans son ambition épique.
Je m’arrêterais donc ici, je ne peux pas en dire plus, d’ailleurs je crois que j’ai tout dit. Jurassic World est loin d’être parfait, mais le petit garçon qui sommeille en moi s’est réveillé pendant deux heures pour vivre une grande aventure. Pour autant Jurassic World au-delà de ses qualités d’écriture en terme de messages véhiculés, semble être destiné à ramener sur le devant de la scène une franchise qui devrait continuer de s’étoffer dans d’autres épisodes. Une chose que l’on peut cependant redouter, car plusieurs idées de scénarios abracadabrantesques traînent depuis des années. Reste maintenant à voir si ce retour réussi laissera place à un futur qui le sera beaucoup moins. Dans tous les cas, sans avoir l’ambition de détrôner l’oeuvre originale de Steven Spielberg, il n’en n’a de toute façon pas la substance nécessaire, le film de Colin Trevorrow relève le challenge d’un projet pourtant très casse-gueule. Bravo et merci !
Ma note : 8/10