Les Evadés : l’humanité comme moyen de fuite (avec spoils)
J‘adore le cinéma. C’est un fait. Pourtant, lorsqu’il s’agit de films dits « cultes », acclamés et reçus merveilleusement bien tant par le public que par les médias ou les institutions, rien à faire : je traîne. J’ai un mal fou à passer le cap du visionnage, quelque chose me retient. Je suis partagée entre deux justifications. Premièrement, la peur de la déception : et si, moi, je n’en avais rien à fiche de ce film ? Et si le propos ne me touchait pas le moins du monde ? Est-ce que cela fait de moi une mauvaise amatrice de cinéma (la réponse est bien évidemment non) ? Vient ensuite le syndrome inverse. Vous savez, ce sentiment que plus rien ne sera jamais pareil après avoir visionné un film qui vous a bouleversé, que vous ne serez pas prêt de retrouver une œuvre qui arriverait à le cheville de cette dernière. Je n’aime pas trop cette impression car elle (m’)encourage à déprécier d’autres films, alors parfois je préfère éviter les chefs-d’œuvre pour ne pas laisser de côté ces petits plaisirs légers voire coupables. Néanmoins, cette fois je ne me suis pas débinée : j’ai enfin vu Les Evadés.
Honnêtement, je ne suis pas fan de ce titre français. Pas parce qu’il spoile une partie du dénouement mais parce qu’il donne de l’importance à cette même partie de l’intrigue qui n’est pas si pertinente. Je lui préfère largement le titre original de « Shawshank Redemption », beaucoup plus intéressant et qui honore bien mieux le film. Mais j’écris en français donc cela restera Les Evadés, j’ai simplement tenu à ce que ce titre en VO apparaisse dans ma critique. Cette petite précision faite, direction une autre : de quoi parle ce film ? Les Evadés c’est l’odyssée d’Andy Dufresne, banquier condamné à la double perpétuité pour le meurtre de sa femme et son amant. Meurtre qu’il n’a pas commis. A Shawshank, Andy trouvera des amis, vivra parmi les pires évènements de sa vie, se fera un nom et partira. Le film est également, non pas le portrait de la vie en prison mais celui des prisonniers. On a tous déjà pu voir des films qui traitent du monde carcéral d’ici et d’ailleurs mais, à ma connaissance, jamais de cette manière. Ici, il y a là l’envie de nous présenter des individus et ce, sous des facettes moins connues lorsqu’ils sont entre quatre murs : leurs faiblesses, leurs bontés, leurs goûts… Rappeler que ce sont des humains, qui ont tous commis une erreur impardonnable (lorsqu’ils ne sont pas innocents !) mais qui ont tous leurs charmes. J’apprécie beaucoup ce regard qui va plus loin : pourquoi les présenter par leurs crimes alors que nous savons déjà que leur place se trouve en prison ? C’est pour cela que si Red commence à évoquer son crime, nous n’en saurons jamais qui est la victime ou son mobile car la révélation est abandonnée en cours de route. Par contre, nous apprenons qu’il aime jouer de l’harmonica. Et, c’est peut-être ça qui est le plus intéressant.
Au-delà de l’individualité, il y a aussi une grande place pour dépeindre l’intérêt de la communauté, et en même temps c’est tout naturel. Comment s’en sortir en prison si l’on ne parvient pas/refuse de s’intégrer au groupe ? La réponse que nous donne le film est simple : on ne peut pas. Le nombre de plans d’ensemble nous rappelle bien sûr que le quotidien en prison c’est 90% de temps passés en groupe : repas, travail, temps libre, et même hygiène personnelle et Andy avait tout intérêt à se faire des amis. Il se trouve qu’il a un certain talent pour s’attirer les sympathies, pour se mettre les gens dans la poche, mais concernant Red, Haywood, Brooks et tous les autres on sent une réelle sincérité, ce qui rend leurs moments passés ensemble très touchants, au point d’en oublier complètement que ce sont des criminels. On veut leur bien-être, on veut qu’ils s’en sortent. Ce qui m’amène à ce qui est pour moi l’un des points fondamentaux soulignés par le film : ne pas sous-estimer l’importance de la réinsertion et dénoncer ce qu’appelle Red l’institutionnalisation. Il s’agit d’une réaction quasi inexorable de chaque prisonnier qui, lorsqu’il est à l’aube de sa liberté, est pris d’une peur panique de celle dont il a tant rêvé. Il la rejette en bloc, trop installé dans le confort rassurant d’une chambre à barreaux, d’un plateau-repas indigeste, d’une longue journée de travail laborieux et du fruit d’une perte fulgurante d’autonomie. De cette sorte, comment parvenir à (re)devenir un citoyen comme un autre quand la seule aide qui leur est apportée est une chambre de bonne et un job d’étudiant après être lâché en pleine jungle : celle du quotidien de Monsieur tout le monde. Ainsi, on comprend aisément la réaction désespérée de Brooks, qui, sur un coup de folie, se sent prêt à tuer pour rester où il est. Le cas de Brooks est d’ailleurs déchirant, et j’ai eu une compassion énorme pour le personnage car on comprend très bien la détresse que peut ressentir un ancien détenu (repenti) après sa sortie de prison et le décalage absolu que cela doit être de se confronter à une société dont on a été exclu pendant des dizaines d’années. D’autant plus à une époque où le progrès fuse et où les évènements historiques sont fulgurants. Et malgré toutes les difficultés qu’il a supportées en prison, c’est la vie normale, le quotidien de l’innocence qui l’a tué…On se rend aussi compte que jusque-là Red ne faisait pas beaucoup d’efforts pour obtenir la liberté conditionnelle, puisqu’en prison il a tout : statut, amis, sécurité, toit. Dehors, il n’a rien. Le film pose alors la question suivante :
La liberté vaut-elle la peine de perdre tous ces acquis obtenus derrière les barreaux ?
Parlons désormais du dénouement car ce dernier m’a captivée ! J’ai aimé la façon dont le plan rusé d’Andy se déroule au nez et à la barbe aussi bien du spectateur que de Norton et des autres détenus. En servant les intérêts de ses camarades, il a très discrètement servi les siens. Comment imaginer qu’Andy aura réussi à prévoir son évasion de A à Z, que la fausse identité créée pour blanchir l’argent de Norton sera une aide précieuse à Andy pour se faire oublier d’une facilité déconcertante ? On doit tout ceci à la fluidité des scènes, qui s’enchaînent superbement bien et à l’amitié que l’on se prend à éprouver pour les personnages. Le tandem Morgan Freeman / Tim Robbins y est bien sûr pour quelque chose, on les sent réellement imprégnés par leurs rôles respectifs.
Arrivé au générique, nous voilà devant un film traitant de sujets lourds (un homme condamné à passer sa vie et plus encore en prison à tort , la vie carcérale, le suicide, l’abandon des anciens prisonniers) mais parvenant à délivrer un message paradoxalement des plus humains tout en nous faisant le vivre. Les Evadés est devenu pour moi la meilleure représentation ou du moins, l’une des meilleures représentations ( Je n’oublie pas Midnight Express ou plus récemment Un Prophète qui sont aussi excellents) de l’univers carcéral.
Et parce qu’il s’agit d’une de mes scènes préférées du film, je vous laisse la revivre avec la musique, pour conclure ma critique :