Critique de « Dumbo » par E-Stark
« Vole Dumbo ! Vole ! »
Nico Parker – « Dumbo » de Tim Burton (2019)
Trois ans se sont écoulés depuis la sortie de Miss Peregrine et les Enfants Particuliers, trois années durant lesquelles Tim Burton semblait toujours aux yeux de tous dans une impasse créative déjà longue d’une quinzaine d’années. Le voilà de retour avec cette adaptation live du Grand Classique des studios Disney : Dumbo.
Sans forcément déclarer que Tim Burton n’a jamais rien perdu de sa superbe depuis quinze ans, je ne fais pas partie de ceux qui le fustige, ayant toujours trouvé ses films et son art intéressants. Certes on dénombre bien quelques coquilles comme Alice au Pays des Merveilles en 2010, un long-métrage de commande très peu inspiré. Dark Shadows également en 2012 qui malgré toute l’affection que je lui porte, peinait à sortir des sentiers battus. Miss Peregrine en 2016 qui pour le coup s’avérait être une adaptation très libre des romans de Ransom Riggs, avait en son sein pourtant toute la saveur d’un Burton d’antan porté par un casting formidable et un message de tolérance plus que jamais d’actualité. Ainsi revoilà ce bon vieux Tim à la réalisation d’un des films phares du catalogue Disney, Dumbo sorti en 1941, l’histoire d’un jeune éléphanteau capable de voler grâce à d’immenses oreilles, l’amenant inévitablement à être raillé et marginalisé.
A vrai dire si tout le monde pensait qu’Alice au Pays des Merveilles était une histoire parfaite pour Burton, en terme d’univers et d’imagerie, Burton lui-même dévoilait en 2008 durant la pré-production du film que cette histoire ne le passionnait pas vraiment, du moins qu’aucune adaptation jusqu’ici ne l’avait vraiment attiré. Le résultat final du film parle de lui-même : un immense succès en salle pour un film souvent trop terne et à peine survolé par l’ombre du réalisateur. En revanche pour Dumbo c’est une autre paire de manches. L’histoire du petit éléphanteau s’avère bien plus proche de l’univers Burtonien en termes de thématiques. Un héros ayant des capacités exceptionnelles qui l’amènent malheureusement à être souvent incompris par ceux qu’ils croisent. A peu de choses près, Dumbo rappelle beaucoup l’histoire d’un certain Edward aux mains d’argent. Ceux qui me suivent régulièrement savent d’ailleurs à quel point ce film est important à mes yeux. Une merveille de poésie.
Cependant dire que j’attendais de Dumbo qu’il en soit une sorte de nouvelles mouture dans un univers différent serait faux. Les similitudes entre les deux oeuvres étaient évidentes, mais chacune des deux ayant néanmoins des enjeux différents. Fort heureusement Tim Burton avec Dumbo s’attache bien plus à prolonger le film d’animation plutôt qu’à en faire une banale version live. Le film de 1941 était très court, de mémoire à peine soixante-dix minutes, et son homologue de 2019 l’adapte pendant une demi-heure puis s’envole ensuite vers d’autres cieux et c’est tant mieux. Passé l’instant où Dumbo se voit séparé de sa maman, le film axe sa narration autour des humains qui entourent le petit éléphant et dans une autres mesure le scénario tente aussi la critique de la souffrance animale, ainsi que celle du capitalisme. Toutefois un défaut demeure malgré tout dans la narration : elle est trop rapide et expéditive. Si bien qu’à part pour Dumbo, il sera difficile de s’attacher ou de s’identifier aux autres personnages, qui pour la plupart manque un peu, non pas d’intérêt mais d’épaisseur.
Ainsi si Eva Green se retrouve reléguée à un second rôle intéressant, cette dernière n’aura pas grand chose à jouer pour autant. Néanmoins les scènes où elle accompagne Dumbo en vol sont toutes empreintes de grâce. Michael Keaton qui retrouve ici Burton des décennies après Batman et Batman : Le Défi, s’emploi ici à jouer le méchant de l’histoire. Un personnage antipathique comme il se doit, à mi-chemin entre son rôle de Ray Kroc dans Le Fondateur et la pugnacité de Christoph Watlz dans De l’eau pour les éléphants. Colin Farrell lui joue les pères de famille, sans nous resservir la même chose que Dans l’ombre de Mary, l’acteur est peut-être ici l’un des seuls à demeurer véritablement attachants, avec Dumbo c’est évident. C’est toujours un plaisir de revoir Danny De Vito, le génial comédien nous vole un sourire à chaque passage bien que ce personnage rappelle beaucoup son rôle similaire que l’acteur jouait dans le sublime Big Fish en 2003. Les deux enfants sont quant à eux mignons, mais loin d’être les meilleurs acteurs qui soient, ce qui est d’ailleurs surprenant, les américains étant pourtant assez doués pour diriger les enfants au cinéma.
Si Burton ne jouit pas ici d’une galerie de personnages étoffés, il se rabat donc sur ce qu’il sait faire de mieux : émouvoir. On l’oublie parfois mais Tim Burton avant d’être un réalisateur aux cheveux ébouriffés et à l’imagination empreinte de poésie macabre teintée de folie, est surtout un cinéaste de l’émotion. Dumbo plus qu’aucun autre de ses derniers films vient nous le remémorer. Rappelant la fragrance si particulière d’un Frankenweenie, d’un Big Fish ou bien entendu d’Edward aux mains d’argent. Dumbo a pour mission de nous émerveiller et de faire monter les larmes. Mais jamais cela ne se fait dans la surenchère, quand bien même certaines scènes témoignent du cahier des charges imposé par Disney. La scène des bulles à Dreamland, faisant écho à celle de l’hallucination dans le film de 1941, ou encore la chanson Mon tout-petit qui fonctionne malgré la narration qui la place beaucoup trop tôt dans l’histoire.
Au-delà de cela il faut aussi revenir sur ce que le film tente de raconter à travers l’histoire du petit éléphant. La critique de la souffrance des animaux, et pas juste dans les cirques d’ailleurs, s’avère efficace et poignante, bien que dans le même registre je lui préfère De l’eau pour les éléphants en 2011 avec Robert Pattinson, Reese Witherspoon et Christoph Watlz donc. Mais Dumbo s’attache aussi à parler du capitalisme et de l’image de marque, et cela non sans rappeler les parcs Disneyland eux-mêmes. Comme pour évoquer cette époque où Tim Burton fut évincé des studios Disney car jugé trop étrange dans sa créativité, alors que ces derniers ne se sont pas privés de capitaliser allègrement sur L’Etrange Noël de Monsieur Jack, qu’il n’a certes pas mis en scène mais qu’il a imaginé de toute pièce. C’est d’autant plus surprenant qu’une firme comme Disney, qui contrôle autant son image, ai pu laisser sortir Dumbo de la salle de montage sans quelques coupes à ce sujet.
Pour raconter tout cela Tim Burton use de la mise en scène. Cette dernière oscille entre féerie visuelle et imagerie narrative. Le temps d’une séquence subtilement placée, Burton nous rappelle son amour des « freaks » et de la comédie-musicale. L’analyse pourrait même nous amener à dire que les choix visuelles tels que l’image de synthèse pour les éléphants du film ou les souris (clin d’oeil à Timothédans le film de 1941) viennent appuyer un peu plus la critique de la souffrance animale, le film n’utilisant aucun animal réel hormis des chevaux et des chiens, même lors des scènes où le petit pachyderme de vole pas. Tout cela bien sûr est sous la houlette de Danny Elfman et de sa bande-originale très inspirée pour le coup. Un pur plaisir de retrouver le compositeur dans l’univers de Burton.
En somme Dumbo est peut-être bien le retour de la magie pour Tim Burton, une sortie d’impasse ? Il appartient à chacun de se faire un avis là-dessus. Mais une chose est sûre, Dumbo inspire le réalisateur et s’impose probablement comme la plus légitime et intéressante des dernières adaptations lives des classiques Disney.
Ma note : 8/10