Critique de « Une vie cachée » par E-Stark
« Il faut résister au mal. »
August Diehl dans le rôle de Franz Jägerstätter – « Une vie cachée » de Terrence Malick (2019)
Voilà déjà bientôt dix ans que Terrence Malick remportait la Palme d’or à Cannes pour The Tree of Life. En l’espace de neuf ans le réalisateur a sorti plus de films qu’il ne l’avait fait depuis La Balade Sauvage, son tout premier, et La Ligne Rouge près de vingt ans après.
Bien loin de l’errance dans laquelle on raconte qu’il serait tombé, Terrence Malick a fait du chemin depuis son précieux sésame cannois. Quatre films plus expérimentaux, dont un documentaire, et le voilà qui revient avec Une vie cachée, ou la biographie de l’objecteur de conscience autrichien Franz Jägerstätter. Un film qui semble s’imposer par bien des aspects comme une apogée, une oeuvre somme qui vient finalement conjuguer les récentes réalisations du metteur en scène en un long-métrage plus linéaire, plus « grand public » pour faire simple. Car effectivement si quelque chose marque d’emblée dans le dernier rejeton de Terrence Malick, c’est que s’il arbore les atours plastiques d’un Tree of Life ou Knight of Cups, il s’avère en revanche bien moins nébuleux sur le plan narratif. Une vie cachée répond aux schémas classiques d’un long-métrage de cinéma, ce qui ne veut pas pour autant dire que l’oeuvre demeure moins forte ou marquante sur le plan visuel. On retrouve ce qui fait le sel de la mise en scène Malickienne, avec la steadycam, le grand angle et bien évidemment une volonté de contemplation.
A vrai dire si je devais citer un film auquel Une vie cachée m’a le plus fait penser, ce serait sans nul doute La Ligne Rouge. Effectivement et de diverses manières, ce nouveau film s’avère être un long-métrage sur la guerre, c’est à dire centré sur l’humain en temps de guerre. Mais ici il s’agit surtout d’un couple durant la guerre, de comment une famille peut imploser face à l’horreur, quand les convictions sont plus fortes que la mort. C’est de cela que parle le film, et d’amour aussi. Ce n’est pas la première fois que Malick aborde l’amour dans son cinéma bien sûr, mais c’est peut-être la première fois qu’il en explore toute l’importance au sein d’une existence. Sur ce point précis, le film est déchirant, par son propos bien sûr mais aussi grâce au jeu sans faille et bouleversant de Valerie Pachner. Lumineuse et touchante, comme August Diehl, lui aussi saisissant.
On retrouve donc ici tout ce que Malick sait faire, tout ce qu’il fait de plus beau et il conjugue tout son savoir-faire en un film aussi poignant que fort, émouvant qu’intense. Des émotions viscérales qui viennent mettre en lumière une histoire intime mais qui par ce biais justement vient rappeler qu’elle ne fut certainement pas unique. Une vie cachée nous rappelle l’horreur d’une guerre encore très présente dans nos consciences. Présente car elle caractérise la plupart des maux qui accablent le monde dans lequel nous vivons. Le film, comme La Ligne Rouge, est universel dans son propos et ses personnages. A nouveau le thème de la spiritualité a toute sa place ici, c’est une thématique récurrente dans le cinéma de Malick, ici elle caractérise les personnages. Forte en symbolisme, la spiritualité est ici caractérisée également par les décors, les Alpes Autrichiennes rappelant le fameux paradis perdu propre au cinéma de Malick, alors que l’enfer bien réel est ici apparenté à l’emprisonnement de Franz et aux sévices associés. Concernant la foi plus concrètement, si d’ordinaire les films du réalisateur utilisent le thème de la religion comme un fil conducteur, rappelant qu’il faut croire en quelque chose spirituellement ou pas d’ailleurs, pour vivre, ici la religion est traitée en tant que foi et en tant que fanatisme. Le personnage de Franz est un croyant convaincu qui s’opposera au fanatisme du Troisème Reich. A nouveau la nature et la grâce, ont droit de cité ici. La nature humaine gracieuse mais brisée par des idéologies putrides.
Une vie cachée est donc un long-métrage fascinant, par sa maîtrise bien sûr mais aussi par sa force de proposition. Si Malick est toujours jusqu’au-boutiste, il signe pourtant ici un film plus linéaire qui pourrait même s’avérer être l’une de ses oeuvres les plus majeures. Si mon amour pour Tree of Life reste inchangé, Une vie cachée est à n’en pas douter une oeuvre qui m’aura également beaucoup marqué.