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« Dune » par Quentin Penel

Les yeux bleus perçants de la fremen Chani lancent le voyage unique qui s’apprête à se dérouler sous nos yeux. Abus des ressources primaires, colonialisme et croyances messianiques étant au cœur de l’œuvre de Frank Herbert dont le film de Denis Villeneuve est la seconde adaptation, nous étions en droit de nous demander vers quelle cible le réalisateur des somptueux Premier Contact & Blade Runner 2049 assénerait sa lame krys.

De son propre aveu, Frank Herbert n’avait jamais envisagé sa saga comme un brûlot écologique, malgré l’importante recherche de fond pour transcrire une faune et une flore tangible aux planètes phares de son épopée, théâtres infernaux de la tragédie qu’est Dune, et dont le monde d’Arrakis en est le zénith. Davantage une thématique latente – avant-gardiste à l’époque de la publication du roman au milieu des sixties – qu’un point d’orgue dans la saga spatiale, les réflexions écologiques permettent de glisser vers le cœur réel de la raison d’être de ce conte aux épices : le colonialisme et les dérives anar qu’il engendre, de toutes parts.

Habilement, Villeneuve tourne la grande loupe d’Arrakis vers notre monde, propulse l’œuvre d’Herbert dans le XXIème siècle sans rien en changer ou presque, et illustre alors la modernité saisissante du mythe des Atréides.

Soixante ans après avoir ensablé les librairies, Dune dévore nos écrans et atomise les codes cueillis des dix dernières années comme les écrits d’Herbert fusillaient le Lawrence d’Arabie de David Lean ainsi que son culte du « white savior », sorti en 1962, soit trois ans avant la publication du premier opus littéraire, en août 1965. Dernière incarnation la plus célèbre de ce trope un brin ronflant : Avatar de James Cameron, merveille de cinéma mais néanmoins attachée aux poncifs de l’homme blanc montrant la voie aux peuples opprimés pour se libérer des liens qui les entravent.
Dune prend et a toujours pris le contre-pied de tout cela, et fait de ce schéma impossible à éviter sa thématique la plus noire, thématique ne faisant que prendre racine dans ce chapitre, mais achève d’installer le blockbuster comme l’un des moments les plus importants du cinéma post-colonial.

Résolument « Villeneuvien », Dune : Première Partie est certes l’adaptation attendue par des millions de fans du plus grand roman de science-fiction du siècle passé, mais avant tout l’enfant d’un artiste que celui-ci ne saurait renier.
Entre les sietchs fremens et les pluies de Caladan, Dame Jessica (magistrale Rebecca Ferguson) s’inscrit dans la lignée de Louise Banks, la traductrice au centre de Premier Contact campée par Amy Adams – toutes deux s’élevant contre un funeste déterminisme impactant leurs progénitures, mais aussi passerelles entre les sociétés qu’elles sont censées unir.
Face à cela, Paul Atréides n’est pas sans évoquer le parcours prophétique du réplicant de Blade Runner 2049, auquel Ryan Gosling prêtait ses traits. Dans ce registre, Timothée Chalamet livre une prestation toute en retenue des plus solides, portant ce premier « gros » projet dans sa carrière avec beaucoup d’élégance.

Objet de ses obsessions d’une part, Villeneuve était le lisan al-Gaib à l’adaptation du livre pour une toute autre raison : un sens du détail absolu commun à celui de Frank Herbert, donc, mais aussi et toujours des personnages profondément humains, perdus dans des mondes trop vastes pour eux, des plans qui ne semblent pas connaître les limites de sa caméra.

L’éloge se fait récurrente désormais : Dune version 2021 a tout du lancement d’un univers solide car le metteur en scène est ce que fut Peter Jackson au Seigneur des Anneaux : un artisan passionné, conscient de l’importance du travail de « world-building » dans son exercice d’adaptation. De l’importance du langage (quel bonheur de ne pas découvrir des planètes ayant la langue de Shakespeare pour unique dialecte !) à une exposition consciencieuse des caractéristiques de cet « empire » carburant à l’épice, l’immersion proposée est celle que tout spectateur pouvait attendre d’une œuvre en salle pour ce retour en force du cinéma à grand spectacle.

Irrémédiablement, notre envie de voir ce geste de cinéma aller jusqu’au bout de ses intentions dans une seconde partie et un troisième opus (Le Messie de Dune) nous brûle comme rarement : Généreux, sublimé par la photographie unique de Greig Freser (à l’œuvre sur des décors – de la Jordanie à la Norvège – en prises de vues réelles, méthode qui fit le succès de Rogue One – A Star Wars Story de Gareth Edwards), Dune est le plus beau cadeau que vous apportera le septième art en 2021, le mariage de bien des genres et une porte ouverte à un cinéma hollywoodien plein de promesses et d’unicité, un grand miracle en soi.

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