Analyse de « Les Photos d’Alix » par Morgan
Les Photos d’Alix (1980), un court métrage de Jean Eustache
Les Photos d’Alix est un court métrage mettant en scène deux personnes jouant leur propre rôle. D’un côté une photographe, Alix Cléo Roubaud, expliquant ses photos à un de ses amis, Boris, le fils de Jean Eustache. L’explication des photos par Alix peut être considérée comme étrange car dans la première partie de ce film nous avons des photos trafiquées puis dans une deuxième partie il y a une création d’un décalage entre la parole et l’image, en effet le discours ne décrit plus la photo que l’on a sous les yeux. Nous allons donc nous interroger sur les raisons de cette incompréhension du spectateur.
Dans un premier temps, Alix décrit les photos comme une voix off qui accompagne l’image documentaire, on pourrait donc penser à une tentative de reproduction du réel puisque la photographie, comme l’image documentaire, est un fragment plus ou moins proche du réel. Mais cette idée doit vite être abandonnée car, par différentes techniques photographiques, on se retrouve face à des images déformant le réel. En revanche, la première partie du court métrage n’est pas là pour nous induire en erreur malgré les nombreuses photographies retravaillées, Alix nous explique (par l’intermédiaire qu’est Boris) chaque trucage à travers la description de ses images. On a donc dans cette première partie une exploitation d’une « trahison des images » en référence à Magritte. Prenons l’exemple de la photo de son ami dans un canapé, la photo étant trafiquée, elle nous donne l’impression de voir cet ami dans une piscine, Alix le dit elle même : « On dirait qu’il flotte dans une baignoire, dans l’eau, dans une piscine ». Et il est vrai que sans cette interprétation de l’image par la parole, nous pouvons être dupés de manière évidente face à ce que l’on voit. Mais un autre exemple semble incontournable pour parler de ce non-réel c’est la photographie à la neuvième minute, lorsque Boris lui demande pourquoi avoir photographié la photo au lieu de prendre le négatif Alix lui répond : « Pour avoir une photographie plus photographique que la photographie, c’est à dire plus éloigné de la réalité qu’elle ne l’est, pour bien faire sentir que c’est une photographie ». Donc on a là une indication sur ce qu’est la photographie, nous savons que ce n’est pas le réel, mais cette photo reste tout de même ambiguë car le commentaire d’Alix ne semble pas toujours décrire ce que l’on voit vraiment, il semble que cette photo marque le passage entre les deux façons d’exploiter images et dialogues de ce film. Cette première partie n’a pas pour but de tromper le spectateur mais plutôt de lui expliquer que les images peuvent mentir.
La deuxième partie est en opposition avec la première partie, là où l’on avait une représentation du réel avouant être frauduleuse, ici nous avons un langage tout autre. Alix décrit des photographies qui ne sont pas celles que l’on voit, d’ailleurs Boris peut aussi nous dérouter puisque l’on ne sait pas toujours s’il voit la même chose que nous ou alors ce qu’Alix lui décrit, il est parfois troublé par les photos mais rien n’indique que c’est parce qu’il ne voit pas ce qu’Alix lui décrit. Par exemple durant la dixième minute du film, toujours avec cette photo si ambiguë entre les deux exploitations des images et des dialogues, Alix demande à Boris si la photo qu’elle vient de lui montrer ne lui plaît pas beaucoup, et il lui répond : « je la trouve étrange », on ne sait pas pourquoi, est-ce parce qu’il ne voit pas ce qu’Alix lui explique ou tout simplement car l’esthétique de cette photo est littéralement étrange ? Il est certain qu’il y a une étape entre la première partie du film et sa deuxième partie, une ambiguïté certaine entre dialogue et image mais que l’on arrive pas à discerner clairement,. Puis le décalage entre image et dialogue se prononce sans hésitation, des bottes vont alors devenir par le biais des dialogues d’Alix (mais aussi de Boris) un pub londonien, tout indique une incohérence dans ce réel qui nous est présenté. D’ailleurs nous ne pouvons même pas établir ce qui est réel ou pas, est-ce que le réel est représenté par les photographies que le spectateur voit ou est-ce que le dialogue d’Alix parle du réel rendant les photographies la véritable illusion ? La tromperie est bien là mais il est impossible de la caractériser, ceci s’explique aussi par le fait que dialogue et photographie ne sont jamais dans la même image, en effet si l’on voit les photos, le dialogue et en hors champ et si l’on voit Alix et Boris parler, on en voit pas les photos, en définitive cette séparation des deux éléments par le montage nous pousse dans une incompréhension beaucoup plus élaborée. On discerne toujours les deux objets audiovisuels afin de rendre la tromperie plus difficile à rationaliser alors que le spectateur sait pertinemment qu’elle est là sous ses yeux (ou à son oreille).
Avec Les Photos d’Alix, Jean Eustache nous offre sa conception du réel, ou plutôt du non-réel puisqu’il s’agît là de duper le spectateur. Cette tromperie se fait donc en trois étapes. Premièrement il nous indique que le travail de la photographe est bien de l’ordre du non-réel, nous savons que les photos sont trafiquées mais nous avons tout de même en opposition quelque chose de bien réel, le commentaire d’Alix qui explique véritablement le procédé de la tromperie photographique. Puis nous avons une deuxième étape, qui elle, est une transition avant de passer à une seconde partie du court métrage, Alix explique toujours ce qu’elle a fait sur les photos, cela paraît plausible mais nous restons tout de même perplexe face à ce que l’on voit, alors que dans la première partie le commentaire faisait preuve d’honnêteté avec ce que nous voyions. Et pour finir il y a cette troisième étape qui constitue clairement la seconde partie de ce film, dans celle-ci il est impossible de discerner le vrai du faux, on sait qu’il y a du faux mais impossible de savoir s’il provient de l’image ou du dialogue. Cette incompréhension passe notamment par ces deux éléments clairement dissociés par deux cadres différents qui s’alternent durant le montage. On peut voir le film de Jean Eustache comme un échange entre l’image et le son, une discussion délicieuse et sans discorde au début qui finira par une joute verbale où le sonore répond au visuel et le visuel répond au sonore sans qu’une seule fois ils ne tombent d’accord.