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Critique de « Jurassic World : Fallen Kingdom » par E-Stark

« On a libéré la puissance génétique, la ligne rouge a été franchie. »

Jeff Goldblum – « Jurassic World : Fallen Kingdom » de Juan Antonio Bayona (2018)

En 2015 la célèbre franchise des dinosaures revenait sur le devant de la scène sous la houlette de l’inconnu Colin Trevorrow. Retour marquant au box-office sans pour autant convaincre les fans. 3 ans plus tard sort la suite de Jurassic World, cinquième film de la saga Jurassic Park, titré ici Fallen Kingdom, alors que le film originel lui fête ses 25 ans. Aux commandes de cette suite aussi attendue que redoutée, on retrouve le talentueux Juan Antonio Bayona, de quoi attiser la curiosité.

Ainsi donc nous voici trois ans après le désastre du parc Jurassic World engendré par l’Indominus Rex, un dinosaure hybride génétiquement modifié censé attirer plus de visiteurs. Le parc est fermé et les dinosaures sont de nouveaux libres sur l’île d’Isla Nublar, là où tout a commencé il y a vingt-cinq ans avec Jurassic Park. Mais dès lors que le Mont Sibo, le volcan pourtant endormi de l’île, commence à montrer des signes d’activité, Claire Dearing, l’ancienne administratrice du parc, aujourd’hui reconvertie en militante pour le droit à la vie des dinosaures via son association le Dinosaurs Protection Group, décide de tenter le tout pour le tout afin de sauver les animaux d’un funeste destin. En s’associant avec Benjamin Lockwood, un ancien ami de John Hammond le fondateur de Jurassic Park, Claire monte une expédition pour récupérer les animaux sur l’île et les emmener vers un sanctuaire protégé en dehors du continent. Mais c’est sans compter sur la cupidité des hommes à nouveau qui viendront interférer avec le projet somme toute louable de Claire et Lockwood, afin non pas de déplacer les dinosaures dans un nouvel havre, mais bien de les ramener sur le continent pour les vendre comme arme biologique, comme cela avait été évoqué dans le précédent film. De son côté le docteur Henry Wu, généticien en chef de Jurassic Park puis de Jurassic World, récidive et crée un prototype d’un nouvel hybride, l’Indoraptor, qu’il souhaite perfectionner pour la rendre plus docile, avec l’ADN de Blue, le vélociraptor dressé par Owen Grady avant la destruction de Jurassic World. Évidemment comme le prédisait déjà Ian Malcolm il y a vingt-cinq ans, tout ne se passe pas comme prévu et il se pourrait bien que cette fois-ci la ligne rouge soit franchie sans marche arrière possible.

Voici le postulat de Jurassic World : Fallen Kingdom. Un postulat qui a bien des égards pourrait nous faire penser au Monde Perdu, la suite de Jurassic Park, mais que l’on ne s’y trompe pas, il ne s’agit pas ici d’un remake déguisé. Fallen Kingdom possède bien sa propre identité tout en reprenant respectivement les fondements de la franchise qu’il vient étoffer. Sous la houlette de Juan Antonio Bayona, qui nous gratifie ici d’un film à la plastique impeccable, ce nouvel opus s’impose dans la saga comme un épisode majeur, même si cette dimension n’est pas forcément perceptible d’emblée. Car en effet Fallen Kingdom doit aussi réponde à un cahier des charges imposé par les studios, si bien que comme pour Jurassic World premier du nom, certaines thématiques véritablement passionnantes passent parfois au second plan au profit du divertissement.

Pas de doute, si c’est bien Bayona qui réalise, Colin Trevorrow n’est jamais loin derrière et cela se sent. Mais toutefois, moi qui craignais que Trevorrow, après son renvoi de la réalisation de Star Wars Episode IX ne soit trop présent à la production de Fallen Kingdom au point d’entacher la vision de Juan Antonio Bayona, je dois avouer que si effectivement on sent l’ombre de Trevorrow durant certaines séquences, notamment au début du film sur l’île, la sensation de voir un long-métrage de Bayona ne fait pas de doute. Notamment car dès les premières minutes du film, l’ambiance est posée. La photographie est plus sombre, les lumières sont nuancées et la mise en scène si reconnaissable du réalisateur espagnol laisse entrevoir de bonnes idées pour les deux heures qui vont suivre. Lors d’une scène d’ouverture dantesque et étonnante pour un film de la saga Jurassic, Bayona instaure le ton. De manière générale il est important de souligner que tout au long du film la patte Bayona s’accordera plus ou moins facilement avec les scènes qui elles sont écrites par Colin Trevorrow et Derek Connolly, le premier ayant réalisé l’opus précédent tandis que le second assurait déjà l’écriture. Autant dire que l’on s’attendait à retrouver ici la simplicité et l’efficacité de Jurassic World, au détriment de sous-texte plus intéressant. Cependant il faut bien avouer, et j’apprécie beaucoup Jurassic World, que Fallen Kingdom est finalement bien plus inspiré, que cela soit en terme de mise en scène ou d’écriture.

Si l’on commence par la mise en scène, elle reflète à la fois totalement l’esprit de Juan Antonio Bayona et de son style qu’il conjugue avec les décisions de Trevorrow, notamment ce plan marquant du T.rex rugissant avec le volcan en arrière-plan. Ou bien encore cette scène d’ouverture gargantuesque, totalement dans l’esprit de Trevorrow mais interprétée par Bayona. C’est surprenant mais les deux styles s’accordent finalement plutôt bien. Notons cependant que la seconde partie du film sur le continent laisse encore plus transparaître la vision de Bayona, notamment les jeux d’ombres et le virage épouvante totalement assumé une fois les protagonistes dans le manoir. Néanmoins on sent bien évidemment aussi que le film répond à un cahier des charges bien précis. Si l’on connaît un peu le cinéma de Juan Antonio Bayona, on sait notamment qu’il n’a pas peur d’être plus frontal sur la violence, et force est de constater que Fallen Kingdom est un film fait pour un très large public. En le comparant à ses aînés il pourrait même s’apparenter comme étant le moins sanglant de tous, ce qui n’enlève pourtant rien à l’intensité car si Bayona doit se brider un peu en terme de violence (c’est relatif) il le compense dans l’émotion.

Ce qui nous amène à parler du très gros point fort du long-métrage. Car si le scénario peut parfois dérouter en proposant certaines idées qu’il sera difficile à encaisser au départ, Bayona de son côté s’approprie l’écriture de Trevorrow et Connolly pour insuffler de l’émotion. Ainsi il joue à la fois sur les sensations ressenties dans l’instant, à la fois viscérales et efficaces comme cette scène qui clôt la première partie du film lorsque le bateau quitte Isla Nublar. Je dois avouer avoir pleuré à chaudes larmes ici alors que je ne m’y attendais pas du tout. Mais l’émotion s’insinue aussi dans l’inconscient du spectateur, puisque certains rebondissements scénaristiques finissent par énerver. Mais bien rapidement on en arrive à se dire que cela n’est pas anodin, car l’écriture nous met finalement face à des situations qui depuis le premier film et les romans de Michael Crichton n’étaient envisagées que comme des aberrations, une ligne rouge qui ne serait jamais franchie. Sauf qu’ici l’écriture fait le choix de franchir cette ligne rouge pour mieux appuyer ses thématiques tout en nous mettant dans le même état d’esprit que les protagonistes. Ainsi Jurassic World : Fallen Kingdom repose les enjeux de la saga. L’avidité des hommes pourrait bien l’emporter cette fois-ci, nous conduisant inévitablement vers un désastre.

Ainsi donc l’émotion est intimement liée aux thématiques, si bien que l’on retrouve certains gimmicks présents dans le film précédent avec ici un sens neuf. Notamment cette volonté de personnifier les dinosaures, l’écriture les traite ici comme des personnages, renforçant leur importance dans l’histoire à l’instar des personnages humains. Les dinosaures ont une fonction différente ici, ils ne sont pas là parce qu’il s’agit du sujet des films de la franchise, mais bien parce que ce sont eux qui font vivre la symbolique de cette histoire. Un choix que personnellement j’apprécie puisqu’il s’ancre parfaitement dans des questions de société actuelles. Jurassic World : Fallen Kingdom parle notamment de la protection animale, un thème que l’écriture conjugue ici à la dimension scientifique de l’oeuvre. Les hommes à l’origine de la résurrection des dinosaures ont-ils tous les droits sur ces animaux, ou bien au contraire n’ont-ils pas plutôt des devoirs envers ces derniers ? Comme les sauver d’une catastrophe car ce sont des êtres doués de pensé et d’intelligence, tout en tenant compte du fait que les sauver peut aussi causer la perte de l’humanité. Tout un tas de questions éthiques se posent dans ce film, mais il demeure malgré tout un soucis de taille. Car effectivement comme dans Jurassic World qui faisait le choix lui de porter un discours méta sur la science en faisant le lien avec l’industrie du divertissement, ces thématiques intéressantes passaient trop souvent en second plan au profit du divertissement pur pour répondre au cahier des charges des studios. C’est la même chose avec Jurassic World : Fallen Kingdom qui en plus possède un rythme effréné, inutile donc de rappeler qu’il ne faut pas prendre le film au premier degré, mais plutôt tenter de voir ce qu’il raconte sous sa carapace de blockbuster.

Concernant le reste du film, notamment en terme de technique il faut bien avouer que tout est beau. L’utilisation des animatroniques est ici bien plus présente que dans l’opus précédent, démontrant que cette technique a encore de beaux jours devant elle dès lors qu’elle est couplée avec des images numériques de qualités. La mise en scène, la photographie et les effet-spéciaux font de ce Jurassic World : Fallen Kingdom une œuvre d’art à part entière et l’un des films les plus singulier de la franchise. Ajoutons à cela que si les personnages évoluent peut-être un peu moins que dans l’opus précédent, comme Claire qui prenait conscience de beaucoup de choses, Bryce Dallas Howard et Chris Pratt sont ici tous deux dans la continuité de ce qu’ils laissaient paraître sur le précédent volet. C’est bien Bryce Dallas Howard qui mène cette histoire, alors que Star Lord de son côté demeure plus en retrait, ce qui n’est pas plus mal.

Pour le reste de la distribution il y a à boire et à manger. Outre un caméo bien senti de Jeff Goldblum dans la peau de Ian Malcolm, on apprécie aussi la présence de James Cromwell même si ce dernier est un peu trop sous-exploité. Les méchants du films sont souvent trop caricaturaux, à l’image de Toby Jones par exemple, ou encore Rafe Spall qui excelle dans le rôle du salaud de première malgré tout. B.D. Wong quant à lui donne plus l’impression de venir chercher son chèque, c’est dommage. Néanmoins on appréciera malgré tout la présence des petits nouveaux Justice Smith et Daniela Pineda, mais la vraie surprise réside surtout du côté de la jeune Isabella Sermon dont l’importance devient capitale au fur et à mesure que l’histoire avance. La jeune actrice est à la fois touchante et juste, toute en nuances et surprenante. Quant à la bande-originale de Michael Giacchino elle s’avère de bonne facture même si moins surprenante que celle de Jurassic World. Le compositeur reprend les grands thèmes de la franchise et parvient malgré tout à participer activement à l’ambiance générale du film.

Finalement Jurassic World : Fallen Kingdom comme son aîné revêt parfois des allures de mastodonte bête et méchant, mais conserve pourtant en son sein l’ADN de toute une franchise en l’amenant vers d’autres sommets que l’on ne pensait pas découvrir un jour. Juan Antonio Bayona fait des merveilles, il ne reste plus qu’à attendre de voir si Colin Trevorrow saura s’en montrer digne avec le troisième et dernier opus de cette nouvelle trilogie.

Ma note : 8,5/10

Cinéphile parfois cinéphage, j'aime écrire et lire des critiques. Je voue un véritable culte à Terrence Malick et Tim Burton, mais je suis d'une manière générale assez éclectique en matière de cinéma. Bonne lecture ... ou pas !

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